Les Navigateurs de l’infini de J.-H. Rosny aîné
Ayant à peine terminé cette lecture, j’étais déjà sollicité pour écrire un article pour la revue Etherval sur le thème de la communication… L’œuvre m’ayant tellement séduit que je ne pouvais me contenter des quelques lignes de la revue : j’ai donc décidé de partager avec vous cet article dans sa version extra-longue !
Les Navigateurs de l’infini : Des rêves aux réalités de la fiction
Au début du XXème siècle, la fascination pour la planète Mars est à son apogée. Les découvertes astronomiques et les récits de science-fiction nourrissent l’imaginaire collectif d’une humanité désireuse de se projeter au-delà des frontières terrestres. Les mystérieux canaux observés en 1870 par l’astronome italien Giovanni Schiaparelli, interprétés plus tard comme des constructions artificielles par Percival Lowell, ainsi que l’œuvre marquante d’H.G. Wells, La Guerre des mondes (1898)*, sont le terreau fertile des spéculations sur l’existence de formes de vie sur Mars.
C’est dans ce contexte que J.-H. Rosny aîné, pionnier français de la science-fiction (et auteur de la Guerre du feu – Eh oui, le célèbre film est tiré de son roman !), publie en 1925 Les Navigateurs de l’infini, un roman qui explore la possibilité d’un premier contact entre humains et Martiens. Rosny aîné, connu pour son imagination audacieuse et ses réflexions sur des formes de vie non humaines, reprend ici les thèmes de communication et de coexistence, mais également de « règnes », inspiré de ses réflexions sur l’évolution des espèces. Il avait déjà explorés le thème dans Les Xipéhuz (1887), où il mettait en scène des entités incompréhensibles pour les humains. Cependant, Les Navigateurs de l’infini adopte un ton plus pacifique, centré sur la compréhension et l’échange avec des êtres, non pas « venus d’ailleurs », car ce sont les humains qui arrivent sur Mars depuis la Terre, mais des… « êtres en attente d’ailleurs » ? Je laisse aux plus assidus d’entre vous le soin de trouver une meilleure formulation 😉
*Contexte historique littéraire : Si « Une princesse de Mars » de l’auteur américain Edgar Rice Burroughs publié dès 1912 ne vous parle pas, le nom de « John Carter » vous est-il plus familier ? En 1912, oui ! La même année où s’est réalisé le destin du tristement célèbre Titanic ; « Les Derniers et les Premiers » d’Olaf William Stapledon paru en 1930 : ce roman propose une vaste histoire spéculative qui couvre deux milliards d’années et décrit l’évolution de 18 espèces humaines successives, à travers des bouleversements sociaux, écologiques, et même stellaires… bien loin des « quelques » milles années de la Fondation d’Isaac Asimov. (lecture et chronique à venir ?) Tout ça, il y a 100 ans ? Et moi qui pensais que la SF avait commencé avec Star Wars…
L’exploration de Mars : une exploration visionnaire de la communication extraterrestre
Le roman suit trois explorateurs humains dans leur voyage vers Mars, où ils rencontrent deux formes de vie intelligente : les Zoomorphes, les Tripèdes et les Éthéraux. Les Tripèdes sont des humanoïdes à trois jambes dotés de trois paires d’yeux et de mains en forme de conques digitées. Ne possédant ni organes vocaux ni oreilles, leur communication repose entièrement sur un langage gestuel complexe, un défi que les héros devront relever en créant un dictionnaire pour comprendre et échanger avec eux… Mais rassurez-vous, l’intrigue est rondement orchestrée et il n’y a pas de temps mort.
Le processus de communication avec les Tripèdes est un des points centraux du roman, illustrant la patience et la persévérance nécessaire pour interagir avec une espèce totalement différente. Cette exploration linguistique devient une métaphore de l’ouverture à l’altérité et de la découverte de nouvelles formes d’intelligence qui m’ont autant rappelé le film Rencontre du troisième type de Steven Spielberg que Premier Contact de Denis Villeneuve.
Les Éthéraux : une rencontre avec l’inconnu
Si la rencontre avec les Tripèdes, bien que difficile, finit par aboutir à une compréhension mutuelle, celle avec les Éthéraux, des entités lumineuses qui évoluent en nuées dans le ciel martien, s’avère bien plus complexe. Décrits comme des amas lumineux se mouvant dans une sorte de constellation aérienne, leur nature semble au départ si incompréhensible pour les humains, que les protagonistes les prennent pour des phénomènes aériens.
À l’image des Xipéhuz, les Éthéraux incarnent une forme de vie des plus éloignée de la compréhension humaine, à la limite de l’immatériel. Leur communication ne repose ni sur des sons ni sur des gestes, mais sur des phénomènes d’ondes extrêmement rapides (rappelons le contexte historique où l’utilisation d’ondes radios est en pleine expansion !). Là encore, les héros devront faire preuve d’une grande inventivité pour réussir à attirer leur attention et établir une forme de dialogue.
Une réflexion sur la diversité des intelligences
Avec Les Navigateurs de l’infini, J.-H. Rosny aîné ne se contente pas de proposer une simple aventure interplanétaire ; il questionne également les limites de la compréhension humaine face à des formes de vie radicalement différentes. Le roman anticipe des thématiques modernes de science-fiction, telles que l’altérité et la diversité des modes de communication. La relation entre les humains et les deux espèces martiennes souligne la nécessité de s’adapter à des codes étrangers, tout en prônant la paix et la coopération.
Conclusion : un roman en avance sur son temps
En 1925, à une époque où la science-fiction en était encore à ses balbutiements, Les Navigateurs de l’infini de J.-H. Rosny aîné offrait déjà une vision audacieuse de la rencontre entre humains et extraterrestres. Avec ses Tripèdes gestuels et ses Éthéraux lumineux, le roman se distingue par sa réflexion sur la diversité des formes de vie et la complexité de la communication inter-espèces. Bien que souvent éclipsé par d’autres auteurs de l’époque, Rosny aîné reste une figure clé de la science-fiction francophone, dont l’œuvre mérite d’être redécouverte pour sa profondeur et son originalité. Intellectuel français, membre de l’académie Goncourt, je trouve malheureux que ce récit ne soit pas davantage connu que la Guerre de Mondes de son homologue britannique. Assez peu connu, mettant en jeu peu d’action et des problématiques moins « large public », son roman n’a pas encore su trouver d’échos dans les esprits anglo-saxons des studios hollywoodiens. Pourtant, il le mériterait grandement !
Personnages
- Jacques Laverande : Le narrateur du récit et un autre membre de l’équipe d’exploration. Jacques apporte une vision plus philosophique et réfléchie à l’aventure, souvent préoccupé par les questions existentielles sur la nature de la vie et de l’intelligence.
- Jean Gavial : L’un des trois principaux explorateurs humains. Jean est un expérimentateur pragmatique, avec un fort esprit d’aventure. Il est enthousiaste et optimiste, jouant un rôle clé dans la découverte et l’exploration des formes de vie martiennes.
- Antoine Lougre : Explorateur et mathématicien, Antoine est sérieux et analytique. Il incarne la prudence et la réflexion au sein de l’équipe. Il est souvent celui qui s’inquiète des dangers potentiels des découvertes qu’ils font sur Mars.
- Violaine : Accompagne l’équipe d’explorateurs. Elle est observatrice et attentive, jouant un rôle important dans les discussions et dans l’analyse des formes de vie martiennes.
- Les Tripèdes : Ces Martiens sont des créatures intelligentes, marchant sur trois pattes et possédant six yeux. Ils communiquent par des signes plutôt que par des sons, et leur civilisation est en déclin. Ils habitent des régions souterraines de la planète.
- Le Chef Implicite : Le leader des Tripèdes. Il joue un rôle diplomatique dans l’établissement des relations entre les Martiens et les humains.
- Grâce : L’une des Tripèdes, une des formes de vie martiennes. Grâce est cruciale dans l’établissement d’une communication avec les humains. Elle incarne l’intelligence et l’intuition des Martiens
- Les Zoomorphes : Des animaux martiens, aux formes irrégulières, avec des corps plats, de nombreuses pattes et des capacités de défense redoutables, comme l’émission d’énergie ou de rayonnements invisibles qui peuvent paralyser ou tuer.
- Les Éthéraux : Une autre forme de vie martienne, constituée d’amas de lumière en mouvement dans le ciel. Ils sont extrêmement difficiles à comprendre et à approcher en raison de leur nature éthérée.
Ces personnages et créatures façonnent l’univers de Les Navigateurs de l’Infini, une œuvre qui explore les possibilités de la vie sur Mars et la diversité des formes de communication et d’intelligence.
A écrire et me relire, je m’aperçois que le mot « communication » revient souvent. N’y a-t-il pas une revue qui a récemment proposé un appel à texte sur ce thème ? Après cet article, je vous laisse découvrir le numéro 21 « Dixit » de la revue d’Etherval et mon humble nouvelle « Un traducteur sans faille ». Dommage que je n’ai lu ce roman qu’après avoir soumis ma nouvelle, il aurait, sans nul doute, été source d’inspiration 😉
Remerciements & Sources :
Le livre, libre de droits : https://ebooks-bnr.com/rosny-aine-j-h-navigateurs-de-linfini
Pages Wikipedia :
- https://fr.wikipedia.org/wiki/J.-H._Rosny_a%C3%AEn%C3%A9
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Bressy
Blog de Pressibus : https://www.pressibus.org/bd/polis/n/navigateurs.html
Mise à jour du 11 septembre 2024
Plus connu
Mais à notre époque, Rosny aîné est surtout connu pour le prix littéraire français homonyme. Décerné depuis 1980 (première et unique édition préalable en 1953, lauréat Charles Henneberg1), qui récompense des œuvres de science-fiction francophones. Deux catégories sont distinguées : « roman » et « nouvelle ». Texte Wikipedia, légèrement retouché.
Je suis très fier de connaître personnellement deux finalistes de ce prix : Andréa Deslacs, finaliste du prix de la nouvelle Rosny aîné 2018 et le lauréat 2024 du prix de la nouvelle Rosny aîné, Nicolas de Torsiac, deux très talentueux écrivains… marseillais 😀 !
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